Peut-on cultiver la joie ?
« Je peux vous tomber dessus sans crier gare
je suis toujours intense,
Je suis communicative
Je ne suis pas un plaisir solitaire
Je suis le moteur qui nous fait tous avancer »
qui suis-je ?
La joie, nous explique le sociologue et philosophe Frédéric Lenoir dans l’un de ses derniers essais, est une émotion intense qui peut être suscitée par l’extérieur mais peut aussi venir de l’intérieur.
« Elle est plus profonde que le plaisir, éphémère et stimulé par l’extérieur, et plus concrète que le bonheur qui est un état d’être qui fait qu’on a trouvé un équilibre qui n’existerait pas sans plaisir ».
Mais si la joie se manifeste par son intensité et sa durée limitée ;
Peut-on la cultiver ? Y a t il des attitudes qui nous préparent à la joie ?
Frédéric Lenoir, va s’employer à nous montrer que l’on peut formuler une sagesse fondée sur la puissance de la joie qui nous permettrait de vivre dans un bonheur permanent. « Une sagesse qui assume toutes les peines de l’existence. Qui les embrasse pour mieux les transfigurer « .
« La Joie est une puissance vitale » écrit-il. C’est une quête plus profonde que le plaisir. Car la joie qui vient de l’intérieur peut être durable. Pour Frédéric Lenoir, elle est le fruit d’un travail continue sur soi.
En s’appuyant sur les enseignements de Spinoza Bergson ou Nietzsche, ainsi que sur les philosophies orientales, il nous indique les grandes voies qui selon lui mènent à la joie :
- La connaissance de soi, ou « Devenir Soi » que Lenoir appelle « le travail de déliaison » par la libération des affects qui nous polluent,
- qu’il fait suivre d’un « travail de reliaison » ; entendez par là comment se relier aux autres et au monde à la nature.. de façon plus juste,
- Et enfin le lâcher prise, l’abandon de l’égo et du mental
La joie passe donc d’abord par un travail d’introspection, de discernement qui mène à la liberté intérieure.
Il s’agit de partir à la connaissance de soi, prendre conscience de ce qui nous convient, de ce que nous sommes vraiment, de découvrir notre nature profonde.
Cette conscience de ce que nous sommes vraiment est vitale car souvent, « nous avons été parasité par des croyances en grandissant et avons développé des problèmes d’estime de soi ».
« On ne nait pas libre, on le devient » disait Spinoza, pour qui on atteint « la joie permanente lorsqu’on est libéré de la servitude de ses passions ». Pour lui, grâce à l’intuition, à la réorientation de notre désir, nous ne sommes plus mûs par notre inconscient, mais nous atteignons une joie absolue que rien ne peut atteindre. »
Cette liberté consiste à agir en fonction de notre nature propre et non plus des causes extérieures. « Plus on se libère de ce qui nous aliène, plus on est joyeux ». C’est donc un travail individuel.
Détour par les évangiles où selon Frédéric Lenoir, « Jésus, tout comme Spinoza, est le maître du désir.
Ce que Spinoza appelle « passion », Jésus l’appelle « péché » qui en hébreu veut dire « manquer sa cible », bien loin de la signification moralisatrice et culpabilisante que lui confère la théologie chrétienne ultérieure.
Dans les évangiles, l’optique de Jésus est d’atteindre une sagesse de la joie. Ainsi, Spinoza comme Jésus parlent de ce « qui nous fait grandir ou de ce qui nous diminue » et non « du bien et du mal », En ce sens, tous deux ne cherchent pas à diminuer le désir mais à le vivre pleinement et à le réorienter vers des personnes, des choses qui nous font grandir. »
Bergson, pour qui« le plaisir est une ruse que la nature a inventé pour la survie de l’espèce » pense que la joie est liée au processus créatif et à l’accomplissement de la vie.
Pour Nietzsche, nous explique le sociologue, le principe de la joie est « tout ce qui augmente notre puissance vitale ». Comme Spinoza il pense que « la joie se cultive par un travail sur soi pour affirmer que tout ce qui nous porte vers la vie ce qui nous épanouit nous grandit ». En disant un oui inconditionnel à la vie « y compris sa part douloureuse et négative ».
Le second chemin vers la joie intérieure c’est aller vers les autres . Un chemin de communion et d’amour pour s’accorder au monde, ce que Frédéric Lenoir appelle le chemin de « reliaison » pour recréer des liens justes qui nous font grandir. Un chemin toujours fondé sur la réciprocité, où chacun exprime qui il est et où chacun souhaite le meilleur pour l’autre.
Souvent nous perdons la joie car nous nous posons beaucoup de questions nous ne savons plus très bien comment nous ajuster à l’existence. le mental l’égo les peurs… nous coupent des autres de la nature.. C’est donc dans un certain détachement que naît l’état dans lequel « il y a plus de joie à donner qu’à recevoir ».
Nous l’avons compris, Frédéric Lenoir adhère à l’idée que la joie n’est pas de l’ataraxie c’est à dire l’absence de souffrance prônée le bouddhisme ou les épicuriens.
« La sagesse c’est de consentir à la vie, à l’aimer comme elle est, à se réjouir de ce que l’on a et ne pas vouloir transformer le monde à tout prix selon ses propres désirs »
Bien au contraire, proche de la philosophie du Tao, il penche pour la joie qui passe par l’acceptation de la souffrance et des circonstances de l’existence, de la souplesse et de l’attitude que l’on a par rapport aux événements de notre vie.
Cette joie retrouvée dans le lâcher prise, dans la souplesse la flexibilité par rapport aux épreuves et évènements de l’existence, c’est la joie d’une vie simple.
La joie parfaite existe bien !
C’est la joie de vivre, celle des enfants, que nous avons eu à la naissance et que nous avons perdu au fil du temps.
L’enfant est le modèle de la sagesse taoïste et des évangiles car il accueille la vie comme elle est et non plus comme l’adulte qui l’accueille comme il voudrait qu’elle soit. « La joie de l’enfance retrouvée, active et consciente, ne pourra disparaître.
« Nous cherchons le bonheur à l’extérieur en permanence
alors qu’il se trouve à l’intérieur. »
Même si certains d’entre nous sont plus enclins à la manifestation de la joie, l’atteindre de façon durable est un travail sur soi. Ce n’est pas forcément un don inné c’est le fruit d’un chemin.
Ainsi, l’auteur identifie un certain nombre d’attitudes qui prédisposent à la Joie et que chacun de nous peut essayer de mettre en pratique.
10 attitudes pour prolonger la joie
1. L’attention
Mettre nos sens en éveil. Être dans l’ici et maintenant. Être attentif à ce que l’on est en train de faire et ne plus laisser nos pensées vagabonder. L’attention permet de se reconnecter à ses sens à ses émotions.
Or, « la joie est souvent déclenchée par une expérience sensorielle » écrit Lenoir. » Si vous êtes attentif à l’harmonie, aux formes, aux couleurs, aux bruits d’un paysage en pleine nature, il se peut que vous soyez envahis par une émotion de joie ». Ce qui a très peu de chance d’arriver si vous vous baladez dans cette même nature en pensant à la feuille de sécurité sociale que vous devez remplir.
2. La présence
Si « l’attention nous éduque à la présence, … la présence ajoute de la qualité à l’attention. Cette dernière n’engage pas que nos sens mais tout notre être : nos sens notre cœur et notre esprit. « Elle consiste à accueillir avec générosité le réel, le monde, autrui » … et de poursuivre » Ce qui fait la valeur d’une vie n’est pas la quantité de choses que nous y avons accomplies mais la qualité de présence qu’on aura placé dans chacune de nos actions ».
3. La méditation
Comme exercice servant à développer nos qualités d’attention et de présence. Que ce soit quelques minutes par jour ou plus, la méditation permet de rester attentif à soi et au monde, de libérer des émotions. En savoir plus sur la pratique de la méditation.
4. Confiance et ouverture du cœur
Lorsque l’on ferme son cœur pour ne plus souffrir on ne laisse plus de place aux émotions. Plus de souffrance donc mais plus de joie possible non plus, puisque cette porte fermée l’est aussi aux émotions positives. En fermant son coeur, « on s’interdit l’accès aux joies profondes de l’Amour ». Il ne s’agit pas d’abandonner son intuition et sa capacité de discernement en acceptant tout et n’importe quoi mais de refaire confiance à la vie, se faire confiance.
Ainsi, « La joie ne se cultive pas dans la pénombre, elle se déploie au grand jour au hasard de l’autre ».
5. La bienveillance
Cultiver la bienveillance, car « la joie est le fruit d’un amour altruiste qui consiste à se réjouir du bonheur de l’autre ». Pour accéder à la joie, il faut donc faire fi des envies, des jalousies ressenties par beaucoup, notamment dans les sociétés occidentales, devant le succès des autres. Arrêter de se comparer, de se jauger mais au contraire se réjouir du succès des autres, voilà un des sentiers qui mène vers la joie.
6. La gratuité
Avouons le ! Le gain financier, la reconnaissance, la réussite sociale sont au coeur de nos préoccupations. On ne fait rien sans rien.. on attend toujours quelque chose de l’autre, quelque chose en retour. Avant d’entreprendre une action, on se questionne pour savoir « a quoi cela va -t-il servir ? »
Or nous pouvons éprouver du plaisir et de la joie à donner.. ne serait-ce que de son temps.
Au sein de nos sociétés consuméristes « où l’idée de gratuité est en train de se pervertir, la joie survient souvent quand on n’attend rien, qu’on a rien à gagner ».
7. La gratitude
Dans nos sociétés de libre expression où nous avons le luxe de pouvoir aisément nous plaindre du temps qu’il fait ou qu’il ne fait pas, nous avons souvent du mal à exprimer notre gratitude. Nous regardons plutôt le verre à moitié vide que le verre à moitié plein et nous focalisons nos pensées sur le manque et la pénurie plutôt que sur l‘abondance qui nous entoure.
La gratitude est un remerciement à la vie qui consiste à « savoir lui rendre ce qu’elle nous a donné ». « C’est un échange permanent », écrit Frédéric Lenoir et elle contribue à nous mettre en joie.
8. La persévérance dans l’effort
Bergson pour qui les « grandes joies créatives sont toujours le fruit d’un effort » estime que » l’oeuvre d’art qui n’est que conçue, le poème qui n’est que rêvé, ne coûtent pas encore de la peine. C’est la réalisation matérielle du poème en mots, de la conception artistique en tableau qui demande un effort. L’effort est pénible mais précieux, plus précieux encore que l’oeuvre où il aboutit, parce que grace à lui, on a tiré de soi plus qu’il n’y avait, on s’est haussé au-dessus de soi-même ».
En résumé, « la réalisation d’un projet une fois les obstacles surmontés est presque toujours source de joie ».
9. Le lâcher prise et le consentement
Abandonner le contrôle comme le prone la sagesse taoïste. » Prendre de la distance du détachement et ne pas chercher à modifier le cours des événements, d’accepter la vie. »
« Ego et mental sont notre kit de survie » dit Frédéric Lenoir.
L’Ego, ce sont les attirances et les répulsions que nous éprouvons face à des personnes ou des situations. L’égo a une fonction de survie que l’éducation va nous permettre de maîtriser a travers le discernement et les expériences… il est aussi le support de nos émotions.
Le mental, c’est le logiciel de la pensée qui nous aide à rationaliser expliquer justifier des situations qui nous blessent par exemple.
« Il faut lâcher le mental et ne plus s’identifier à l’égo ». Il ne s’agit pas de les supprimer mais ne plus les laisser commander. Car selon Frédéric Lenoir, « ils ont établi un filtre entre nous et le réel et nous privent de l’accès à la joie active. En revanche, il faut tenter de laisser plus de place à la raison et à l’intuition à travers le lâcher prise. »
C’est le chemin vers soi qui conduit à la libération du moi, de la fausse identité de l’égo et à la connaissance intuitive où la dualité n’a plus de raison d’être.
10. La jouissance du corps
Corps et esprit sont indissociables.. Du moins sur ce plan ci.
Outre les qualités sensorielles développées par l’attention et la présence il est nécessaire de « garder le corps en bonne santé pour l’unir à l’esprit ». Dansez, sautez…. ou tout simplement pratiquez une « marche consciente », (en pleine nature si possible), des relations sexuelles épanouissantes mais aussi une nutrition saine, une bonne qualité de sommeil. Ce sont des conditions essentielles à l’éclosion de la joie.
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